À LA VIE COMME À LA VILLE
C'est à quatre mains qu'ils écrivent le succès de leur agence depuis près de 20 ans. S'ils préfèrent la discrétion médiatique à la star architecture, c'est pour mieux s'effacer derrière leurs réalisations. Imprimer une vision humaine à l'urbanisme, renouveler les consciences écologiques, Denis Valode nous confie sa vision inspirée, « au carrefour de tout ».
Citoyens du monde
Valode et Pistre. À la manière d’un album de Blake et Mortimer, on s’attendrait à lire ces deux patronymes accolés l’un à l’autre au fil des pages d’une bande dessinée.
Il faut dire que les deux associés ne se quittent plus depuis leur rencontre aux Beaux-Arts, où Denis Valode enseignait l’architecture à son meilleur élève, Jean Pistre. C’était il y a 40 ans.
En France, nous leur devons le spectaculaire centre Beaugrenelle et son aérienne armature de verre, le plus haut gratte-ciel de Lyon, la nouvelle mise en scène de métal ajouré du marché Sainte-Catherine de Bordeaux, ainsi que plusieurs stations du futur Grand Paris Express.
Loin de se cantonner aux chantiers hexagonaux, l’agence questionne les nouveaux paradigmes des métropoles en Chine, en Russie ou au Liban.
Existe-t-il une grande différence entre vos projets hexagonaux et dans le monde ?
D.V. : Notre approche de l’architecture n’est pas stylistique mais problématique, c’est-à-dire « faire naître ce qui doit naître » en fonction des enjeux liés à l’histoire, la culture, l’environnement, etc. L’influence climatique a été un facteur particulièrement important à Skolkovo, la Silicon Valley de Moscou, où nous construisons un centre d’innovations avec de nombreuses galeries qu’il a fallu protéger du froid.
Nous n’avons pas le désir d’imposer une patte, nos projets doivent tous être différents. Nous repensons ces espaces pour en faire des objets emblématiques du territoire, avec un réel désir de livrer des œuvres d’art aux usagers pour qu’ils se les approprient et en retirent de la fierté.
Vous avez réalisé plusieurs tours. Vous semble-t-il possible de réintroduire de l’humain et de la convivialité dans ces constructions verticales ?
D.V. : Les tours ont longtemps été mal aimées en France. Mais ce sont en vérité les dalles qui posaient problème. Nous avons donc cassé celle de Beaugrenelle à Paris pour y aménager un nouveau centre commercial.
Nous sommes convaincus que la tour est un modèle urbain nécessaire pour pallier la densification inéluctable des villes si nous ne voulons pas qu’elles détruisent les espaces agricoles. Mais celui-ci doit être rendu plus humain. Nous avons imaginé des espaces verts et de convivialité à tous les étages de la Tour Saint-Gobain (restaurants, lieux ouverts au public, espaces d’accueil et même une serre avec un climat méditerranéen !). Une tour se voit de loin, c’est important de faire de beaux objets.
L’architecture aujourd’hui, est-ce aussi créer une nouvelle temporalité ?
D.V. : Il existe plusieurs relations avec le temps. D’abord, on construit des bâtiments faits pour durer.
Durable, cela implique aussi aujourd’hui des paramètres écologiques, sans carbone. Or, les différents éléments n’ont pas la même durée de vie. Beaucoup de bâtiments sont devenus obsolètes, notamment leur façade mais ce n’est pas une raison pour les détruire, il faut les renouveler, les rendre adaptables dans le temps et les penser pour être modifiés. Imaginer des façades évolutives, des structures flexibles, c’est une chose très nouvelle.
Vous êtes un acteur fort du Grand Paris. Comment effacer la fracture périphérique sur ce territoire élargi et y réintroduire un dialogue avec son centre ?
D.V. : La solution, c’est le polycentrisme ! Avec le nouveau maillage du Grand Paris Express, les choses vont déjà évoluer vers un système de réseau sans hiérarchie absolue, comme à Tokyo par exemple. Penser en son centre, c’est finalement très français.
Denis Valode, cofondateur de l’agence Valode & Pistre
Crédits photo : Agence Valode & Pistre